Extraits d'Articles
de Science & Avenir sur les "Collectionneurs".
Tout se collectionne, des oeuvres d'art
aux bouteilles. Mais que peut bien signifier une collection d'objets
fabriqués en série, à l'identique? Les
collectionneurs de cartes téléphoniques ne
détiennent pas des objets uniques: celles-ci sont tirées
à des milliers d'exemplaires. Pourtant, leur quête est
bien celle d'une totalité où les raretés prennent
leur signification au milieu des éditions courantes. On veut
tout, le commun et le singulier. Le commun pour faire valoir le
singulier. Ainsi Sir Thomas Phillipps, dont la collection de livres n'a
pu être épuisée en soixante ventes chez Sotheby's,
voulait acquérir un exemplaire de tous les livres du monde. Le
rêve des collectionnomanes n'est qu'une quête
vouée à l'échec mais qui trouve dans son
inachèvement sa justification.
D'ailleurs une collection finie est une collection morte dont le
propriétaire se débarrasse pour en commencer une autre.
Le désir de tout avoir, propre à notre vie moderne,
nivelle les rapports aux choses. Tout s'équivaut, les choses
importantes et les petites. Comme l'explique Ch. G. dans La
Totalité: "C'est le sentiment très fort de n'avoir plus
de maîtrise sur les choses qui peut à la fois s'exprimer
et se compenser par le désir d'accumulation. ...Puisqu'il n'est
pas possible de tout avoir reste le plus court chemin de la synecdoque
qui, par l'extraordinaire de l'ellipse quelle représente, nous
offre le monde dans une coquille de noix".
L'accumulation d'objets hétéroclites peut aussi
être vue comme une manière de rejeter la
société de consommation. Les amasseurs
compulsifs luttent inconsciemment contre l'idée qui veut
qu'une fois utilisé, passé de mode, un objet soit
jeté. La rétention est anormale dans une
société où les objets ne sont pas conçus
pour être gardés et les relations à ces objets
doivent rester indifférentes. La maison de certains ressemble
d'ailleurs à la boutique bien achalandée d'un chiffonnier
: "Ca peut toujours servir."
On peut décrire deux types de
comportement de collection: d'un côté l'activité
d'appropriation et de l'autre la rétention d'un ensemble
d'objets choisis entre autres pour leur qualité, leur
beauté, leur rareté ou leur caractère historique,
et le plus souvent détournés de leur fonction
première.
La collection a des caractéristiques bien particulières:
les éléments qui la composent appartiennent tous à
une même classe plus ou moins large, mais chaque objet ou
exemplaire reste différent de l'autre. A part, la pièce
unique, emblème de la collection. D'autres objets sont des
doubles et servent à l'échange. Mais la collection ne se
construit pas seulement dans la série (forcément
inachevée pour qu'elle ne s'arrête pas), elle se
conçoit aussi par l'inclusion d'éléments choisis
et élevés au rang d'objets de collection pour faire
partie d'un ensemble dont le collectionneur est le chef d'orchestre. On
peut considérer que ce dernier est motivé par le
désir de possession, par l'émulation, par la tendance au
classement et par le besoin d'activité
désintéressée. Collectionner n'est pas en soi la
manifestation d'un trouble psychique. En effet, il ne faut pas
confondre les activités de collection socialement
approuvées avec les formes pathologiques de cette
activité, qui regroupent deux types de comportement. Dans la
première catégorie, l'activité du collectionneur
représente une déviance des conduites socialement
approuvée; c'est la collectionnomanie,
dans laquelle l'appropriation s'accompagne de conduites anormales, dont
les plus spectaculaires sont le crime ou le vol. Le bibliophile anglais
Sir Thomas Phillipps, qui a consacré sa vie à
l'acquisition d'un exemplaire de tous les livres publiés dans le
monde entier, a préféré voir sa femme mourir
plutôt que de payer les soins nécessités par sa
maladie avec l'argent destiné à sa collection. L'aspect
passionnel qui entoure souvent ces conduites peut ainsi compliquer
l'adaptation sociale de l'individu. Le second cas est celui du collectionnisme:
ce n'est pas ici la façon de s'approprier l'objet qui a un
caractère pathologique comme chez le collectionnomane, c'est la
relation aux objets de la collection. Ce n'est pas leur qualité
qui est privilégiée, mais leur quantité. Il n'y a
ni exemplaire, ni pièce unique, ni série, ni
échange, mais amoncellement hétéroclite et
pêle-mêle de divers objets manifestement sans valeur
(journaux, morceaux de bois, barres de fer, aliments, clous
rouillés ... ). Tel est le cas de Gérard, un patient de
50 ans dont le jardin est rempli de boites, de sacs, de
détritus, de chaises cassées et de vieux morceaux de
bois. Des portes et des morceaux de lits usagés encombrent son
balcon. Les pièces de la maison sont occupées par des
piles de vieux journaux, des parapluies et de vieux postes de radio.
Gérard vit au milieu de cet entassement, dort dans ses
vêtements et se lave rarement. Il nie l'amplitude du
problème mais reconnaît ne pas pouvoir arrêter son
amassement de lui-même Finalement, devant la pression des
pouvoirs publiques et les plaintes des voisins concernant les odeurs et
la présence de rats, Gérard a admis que s'il se faisait
expulser de son logement, cela pourrait l'aider à stopper sa
conduite. "Si je vivais dans une seule pièce, je pourrais
recommencer et vivre normalement " se dit-il...
Dans ce type de comportement collectionniste, on distingue l'amassement
pathologique à
caractère compulsif, souvent classé comme une
forme particulière du trouble
obsessionnel-compulsif (TOC) car il correspond à des
rituels interminables d'amassage ou à une incapacité
à jeter des objets usagés. Certaines études
concluent que près de 20 % des personnes atteintes de TOC
seraient également des amasseurs pathologiques. L'histoire
clinique des amasseurs compulsifs est souvent la même : elle
débute aux alentours de la vingtaine, parfois dans l'enfance ou
à l'adolescence. Les patients commencent progressivement
à amasser des objets, le plus souvent usés: cartons,
boites de conserve vides, journaux, matelas usagés, morceaux de
fer sans valeur, etc. Cette collecte d'objets les plus divers
s'effectue le plus souvent dans les décharges publiques, les
poubelles ou dans la rue. Les malades rationalisent leur conduite en
arguant de l'utilité potentielle "Ca peut toujours servir" ou de
l'éventuelle valeur marchande de leurs trouvailles. Ils passent
le plus clair de leurs journées à amasser, au
détriment de leur vie familiale ou professionnelle. Rien n'est
jeté. Et Même si les objets sont dans un premier temps
classés, cette organisation disparaît rapidement devant la
masse croissante des objets accumulés. Il est frappant de
constater l'importance que peut prendre cet amassement dans l'espace de
vie: ces patients ont souvent du mal à circuler dans leur maison
du fait de l'encombrement des lieux. Bien souvent, ce sont les proches
et la famille qui alertent le médecin et incitent le patient
à consulter. Parfois, il s'agit aussi de pressions du voisinage.
Dans une optique comportementaliste, on peut expliquer ces pratiques
par la nécessité de neutraliser un sentiment de malaise,
d'empêcher un événement ou une situation
redoutés (apaiser l'obsession de perdre quelque chose par
exemple). Les sujets admettent volontiers le caractère saugrenu
et excessif de leur comportement; ils s'épuisent à lutter
contre, en particulier au début des troubles, mais sans
succès. Mais même s'ils reconnaissent l'absurdité
de leurs conduites, ces patients considèrent souvent que
l'acquisition d'un espace plus grand suffirait à résoudre
leur problème. Aucun n'envisage le traitement médical des
compulsions. La compulsion d'amassement se trouve souvent
associée, dans le TOC, à d'autres rituels (comme, par
exemple, le lavage des mains) ou à des vérifications en
rapport avec des pensées obsédantes de nature
variée. L'amassement pathologique se retrouve dans d'autres
pathologies, comme les stéréotypies, des conduites
répétitives observées chez des
schizophrènes chroniques, ou dans certaines démences,
ainsi que chez des patients ayant subi une lésion
cérébrale, en particulier dans le lobe frontal ou dans la
région sous-corticale. Enfin, signalons une forme
particulière associée à des troubles du
comportement social, connue sous le nom de syndrome de Diogène,
et caractérisée par une clochardisation.
De nombreuses études, spécialement dans la
littérature anglo-saxonne, lui ont été
consacrées. Ces sujets âgés présentent un
défaut d'hygiène corporelle et environnementale, et une
détérioration du niveau économique associée
à une personnalité marquée par une tendance
à la suspicion et à l'introversion. L'étiologie de
ce syndrome, qui peut également survenir entre 30 et 40 ans,
relève soit d'un trouble sévère de la
personnalité soit d'un processus émanant d'un
dysfonctionnement du lobe frontal.
L'activité de collection, quand elle devient pathologique, doit
être considérée comme un symptôme. Son
caractère volontiers transnosographique allant de la
névrose (TOC) à la psychose (schizophrénie), en
passant par les démences et des aspects purement organiques
(lésions cérébrales), permet d'en faire le
prototype parfait d'une conception de la maladie mentale faisant la
part belle aux hypothèses multifactorielles à la fois
psychologiques, environnementales, génétiques et
neurobiologiques
POUR EN SAVOIR PLUS:
Le Collectionneur: anatomie d'une passion, de Werner Muenstenberger,
Payot, l996.
Le Collectionnisme, de Pierre Pichot, Psynergie, l993.
Contribution à l'étude des collectionneurs et du
collectionnisme, d'Olivier Saladini, thèse de médecine,
Nancy, l997.
Aspects du collectionnisme, numéros spécial de la revue
"Neuro-Psy".
Pierre a 7 ans. Il fréquente
depuis plusieurs mois un hôpital de jour pour enfants où
il est pris en charge pour un retard scolaire et des troubles du
comportement accompagnés de violentes crises de colère.
Il se révèle vif et observateur. Mais un comportement
particulier attire l'attention : en cours de promenades en dehors de
l'hôpital, Pierre ramasse de petits morceaux de bois et les
fourre dans ses poches.
Quand on lui en parle, il répond qu'll ramasse depuis
très longtemps des feuilles, des cailloux, et qu'il les
ramène chez lui avant de les entasser sous son lit ou dans des
sacs qui encombrent sa chambre.
Interrogé sur les raisons de cette conduite, Pierre
répond par un dessin représentant une bulle où il
s'enferme avec une feuille en invitant l'adulte à le rejoindre.
Cet amassement déplaît à sa mère, qui jette
systématiquement les sacs entassés par son fils, ce qui
déclenche chez lui de violentes colères.
Pour Pierre, ces objets font partie de lui-même : Il les expose
ou les montre, mais personne n'a le droit de les toucher. Pendant les
périodes difficiles, il collectionne encore plus
frénétiquement, ramassant tout ce qu'il trouve sur le
chemin.
Tous ces objets, même des feuilles pourtant identiques, ont une
signification pour lui. L'intérêt des pierres
réside dans la possibilité!té de les assembler,
celui des feuilles dans la réalisation de collages : "Ce sont
des morceaux de moi que je recolle".
Le collectionnisme
est un symptôme présent dans plusieurs pathologies. Le
DSMV et la CIMOne le considèrent pas comme entité nosographique.
Il correspond à la rétention d'objets divers souvent
identiques consistant à l'extrême des amoncellements de
détritus. Si l'amassement
compulsif est souvent qualifié de collectionnisme,
il renvoie aussi au TOC et à la
personnalité obsessionnelle. Cette dernière concerne un
mode de perfectionnisme et de rigidité affectivoidéiques
avec souci d'ordre et de symétrie, avarice, préoccupation
pour les détails et les règles. Ce collectionnisme ne
s'associerait au TOC que dans l0 à 50 % des cas.
Cette distorsion entre les deux notions est expliquée par le
fait que la personnalité obsessionnelle correspond à un
aspect "égosyntonique" (le sujet est fier de sa
conduite) par opposition au TOC, où l'aspect
égodystonique est au premier plan (le patient souffre de sa
maladie).
On peut ainsi distinguer le collectionneur obsessionnel de l'amasseur
compulsif. Ce dernier accumule passivement n'importe quoi en
rationalisant sa conduite. Il n'en va pas de même chez le
collectionneur qui accumule de façon active des objets auxquels
il est souvent attaché de manière symbolique. Il en tire
un certain plaisir et ne peut résister qu'en raison des
conséquences négatives de sa conduite
(financières, socioprofessionnelles, etc.).
Malgré tout, il est évident que tous les collectionneurs
ne sont pas des obsessionnels et que cette différenciation reste
schématique.
La collectionnomanie
se définirait au contraire du collectionnisme comme
une passion répondant à un besoin tyrannique de
constituer un ensemble d'objets sélectionnés selon les
critères de la collection socialement approuvée et
conduisant parfois à des actes criminels. Alors que la
collection représente souvent une sublimation, la
collectionnomanie représenterait une déviance de la
conduite du collectionneur qui tend vers la forme pathologique par
glissement passionnel; cette hypothèse ouvre le champ à
une vaste étude "psychopathologique" de la passion.
Quelle est la fonction de cette
collection chez Pierre ? Il s'agit vraisemblablement pour lui de lutter
contre une angoisse majeure et déstructurante et de se
protéger du monde environnant comme le petit enfant qui, au
moment de s'endormir, construit un véritable fortin avec ses
peluches favorites pour se protéger. L'objet, d'une
manière générale, joue un rôle primordial
à chaque période du développement de l'enfant: il
permet en effet le passage de l'état de dépendance
à sa mère à un processus d'individuation de la
personnalité. C'est le rôle du "doudou", ce petit souvenir
de la maman qui accompagne l'enfant partout.
Le goût pour les collections appartient assurément an
domaine de l'enfance. Tous les enfants ou presque collectionnent des
timbres, des petites voitures, des poupées ou des pièces
de monnaie. C'est généralement à partir de 2 ans
que l'enfant se met à collectionner. Il apprend ensuite
l'échange, puis le classement du fruit de ses acquisitions.
La collection assure ainsi plusieurs fonctions: socialisation,
structuration de la personnalité, individuation et
maîtrise d'un monde environnant que l'enfant commence à
appréhender. Il s'identifie à l'objet qu'il
possède, qui lui sert à la fois de bouc émissaire
et de protecteur.
Ce rapport à l'objet permet aussi la transposition de toutes les
situations de conflit. L'activité de collection a fasciné
les auteurs à travers les siècles depuis le collecteur
d'impôts romain Verres qui préféra mourir
plutôt que d'abandonner les œuvres d'art qu'il s'était
appropriées en Sicile, jusqu'au Cousin Pons de Balzac, en
passant par les Caractères de La Bruyère et son
étude sociale " De la mode".
De nos jours, l'ampleur du phénomène n'échappe
à personne: les foires, les brocantes et les salles des ventes
attirent toujours un monde fou. Cette activité trouve
également un corollaire dans le règne animal: à
côté de la fourmi, qui amasse et thésaurise de la
nourriture dans un but utilitaire, d'autres animaux
récupèrent des objets sans aucun but.
C'est le cas notamment des vischachas, des rongeurs
sud-américains qui accumulent dans leurs terriers des objets
aussi insolites que des montres, des pipes, des couteaux et des armes
à feu.
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